Haute-Savoie 1944 le procès des miliciens au Grand-Bornand était-il juste?

En adoptant la démarche d’un juge d’instruction, Jacques Dallest s’interroge dans son dernier livre sur le procès qui envoya 76 miliciens à la mort en août 1944. Un travail qu’il viendra présenter lors d’une conférence à Talloires le 2 mai.

Paru dans le Dauphiné Libéré le 30/04/2022 par Georges BISE 

En portant un regard de juge d’instruction 80 ans après le procès, Jacques Dallest propose une nouvelle lecture sur un sujet « délicat, douloureux, clivant » pour la Haute-Savoie.  Photo Le DL /G.B.

Fallait-il rouvrir le dossier du procès des miliciens au Grand-Bornand (23-24 août 1944), le plus grand de l’épuration qui a suivi la Seconde Guerre mondiale ? Telle est la question soulevée par Jacques Dallest, une figure contemporaine de la justice française, dans son livre événement “L’épuration : une histoire interdite” (éd. du Cerf.).

Obnubilé par les affaires non élucidées, figure totémique de la justice criminelle contemporaine, le procureur général de la cour d’appel de Grenoble tiendra la conférence inaugurale de la session 2022 des Amis du Prieuré à Talloires-Montmin sur « ce sujet délicat, douloureux, clivant » mais « toujours vivant dans la mémoire locale. »

La justice de guerre, une justice expéditive ?

Pas moins de 12 ans lui furent nécessaires pour accomplir son livre, sur un sujet qui peut se résumer froidement en quelques faits et chiffres : 97 accusés, un procès expéditif en 20 heures avec cinq juges et quatre avocats, 76 exécutés en public (dont un père et son fils, de la fratrie Lacroix dont le plus jeune a 16 ans), la moitié des accusés venant du Chablais. L’auteur rappelle que les miliciens venaient de toutes origines, engagés par conviction, d’autres par hasard, d’autres pour l’argent. « Ce procès se déroule dans la fureur de la Libération, où la haine contre les miliciens, supplétifs des Allemands, était plus forte que contre les Allemands, souligne Jacques Dallest. Aussi, pour calmer les gens, il y avait un besoin de répression. Il fallait faire justice. » Mais laquelle ?

La cour martiale, une justice légale

Avec la démarche de juge d’instruction (qu’il fut), et non d’historien, l’auteur livre l’ensemble de ses constatations, à charge et à décharge, pour présenter « un travail sans préjugés. » Pour cela, il a rencontré des gens et parcouru l’ensemble des archives et documents disponibles sur le sujet. « J’ai tout mis à plat », concède-t-il, rappelant que « tous les acteurs principaux sont morts aujourd’hui ».

Mise en place par le comité départemental de Libération, la cour martiale du Grand-Bornand est légale, s’intéressant uniquement à la trahison : pour les juges, « cela évite d’aller dans les détails. » Sur 21 acquittés, rappelle l’auteur, « certains en ont fait autant que des personnes condamnées. Et certains condamnés n’avaient pas de sang sur les mains. »

Préférer le temps long

Pour un même conflit, l’auteur observe que « plus le temps passe, plus la tension retombe, plus les règles de droit s’appliquent, avec des procès plus cléments ». Jacques Dallest ose même : « Si le jugement du Grand-Bornand s’était déroulé plus tard, trois quarts des personnes n’auraient pas été condamnées. »

Au final, le magistrat espère, avec ce livre, « aboutir à ce qui semble être la vérité » tout en rappelant à bon entendeur qu’ « On ne peut pas regarder 1944 avec les yeux d’aujourd’hui. »

Lundi 2 mai à 20 h 30 (ouverture des portes à 20 heures), Prieuré Tufts University, 113 chemin de la Colombière à Talloires-Montmin. Parking Jean-Excoffier. Places limitées.