Prise en charge par l’Etat de la reconnaissance, la réparation, la solidarité et la mémoire des Anciens Combattants et Victimes de Guerre

LA PRISE EN CHARGE PAR L’ETAT DE LA RECONNAISSANCE, LA REPARATION, LA SOLIDARITE ET LA MEMOIRE DES ANCIENS COMBATTANTS ET VICTIMES DE GUERRE

Annecy le 14 décembre 2017

Allocution de Mme MOLINA – Directrice de l’ONAC du Rhône

Créé alors que faisaient rage, sur le sol national les combats de la Première Guerre mondiale, l’Office national des anciens combattants et victimes de guerre a beaucoup évolué en un siècle, mais 100 ans après sa naissance, il reste d’une remarquable fidélité aux principes qui ont  légitimé sa naissance.

La Première Guerre mondiale, par delà l’horreur nouvelle et absolue qu’elle a représentée, détruisant des millions de vies, a fait prendre conscience de la dette immense de la nation toute entière à l’égard de ceux qui se sont sacrifiés pour sauver la patrie.

Avec l’esprit de reconnaissance envers les soldats des armées françaises qui, un peu plus de 2 siècles auparavant, avait présidé à la fondation des Invalides ; l’ONACVG est demeuré fidèle aux principes qui ont guidé sa création : « veiller en toutes circonstances sur les intérêts matériels et moraux » de ceux qui ont combattu pour la France et leur assurer ainsi qu’à leurs proches « le patronage et l’aide matérielle qui leur sont dus par la reconnaissance de la nation ».

Face aux blessures laissées par les combats des 2 guerres mondiales, les conflits de la décolonisation ou, aujourd’hui encore, les attentats terroristes, dans la chair et dans les esprits des combattants et des victimes et de leurs familles, l’ONACVG a su trouver une place originale, conjuguant son rôle social éminent avec une action essentielle dans le domaine de la mémoire.

Soutenir et réparer, mais aussi se souvenir et contribuer à un avenir de paix : la mission de l’ONACVG en un siècle est également devenue une mission de paix et d’avenir.

Mais comment une telle institution, originale et sans équivalent à l’étranger, a t elle vue le jour dans notre pays ? Et comment va t elle prendre la responsabilité de la reconnaissance, de la réparation et de la solidarité dues à ceux qui ont payés de leur personne pour défendre la patrie ?

La création d’un tel organisme, en réalité de trois offices qui se sont regroupés pour constituer une structure unique, s’inscrit dans un long processus de prise de conscience de la nécessité d’accorder un traitement différencié et une juste reconnaissance à ceux qui ont défendu la patrie.

Si avant la Grande Guerre, la législation en vigueur concernant les anciens combattants et victimes de guerre est peu développée, le principe d’une aide apportée aux anciens soldats n’est pas nouveau pour autant.

Au cours du XVIIème siècle, le pouvoir royal s’engage dans une politique de prise en charge de certains de ses anciens soldats invalides. Ils sont placés à l’Hôtel royal des invalides où ils peuvent pratiquer différents métiers pour s’assurer quelques revenus supplémentaires. Il s’agit aussi de contrôler ces hommes qui risquent plus que d’autres de sombrer dans la délinquance et dans la boisson.

Les premières pensions d’invalides militaires sont créées dans le courant du XVIIIème siècle. Le siècle des Lumières, avec Mirabeau notamment, met en avant la légitimité de la solidarité entre les générations et envers les plus fragiles. Mais sous l’ancien régime, seule une minorité est concernée par les pensions versées qui ne peuvent tenir lieu que d’un complément de ressources.

 

Les guerres révolutionnaires et napoléoniennes apportent un contexte nouveau : si les guerres des époques précédentes sont fréquentes et meurtrières, les effectifs humains requis par l’instauration d’un nouveau type d’armée sont sans commune mesure avec ceux engendrés par les conflits antérieurs. C’est la première fois qu’une expérience de combat imprègne avec une telle ampleur les membres d’une même génération par la conscription obligatoire.

Le discours tenu à l’égard des anciens combattants (en 1815, un million d’hommes, soit 3,7 % de la population française est en droit d’attendre une reconnaissance de la Nation) est ambivalent : au delà d’une sollicitude apparente, les considérations budgétaires l’emportent. En outre, la législation restrictive en matière de droit d’association eut pour conséquence l’impossibilité pour ces hommes de créer des groupes d’anciens d’unités régimentaires qui auraient pu devenir des groupes de pression en vue de l’amélioration de la législation des pensions.

Sans politique systématique d’indemnisation, ni même de reconnaissance, les anciens soldats ne peuvent compter que sur la solidarité familiale pour surmonter les blessures endurées, l’interruption de leur activité et le traumatisme subi. En même temps, le droit à la mémoire est dénié par l’Etat : pas d’hommage collectif, pas de monuments aux morts.

L’accueil de la société à l’égard des anciens combattants va évoluer, passant du rejet à la considération à compter de la Monarchie de Juillet. Le passé glorieux des soldats leur vaut une place officielle dans les cérémonies à caractère militaire.

Sous le Second Empire, il n’est toujours pas envisagé de secourir l’ensemble des soldats mais ils sont tous reconnus grâce à une réinsertion pacifique des soldats revenus des guerres. Avec la loi de 1850 qui autorise les sociétés de secours mutuel, les vétérans constituent des groupes institutionnels qui leur permettent de manifester publiquement et officiellement leur identité d’anciens combattants. Dans le même temps, il renforce chez eux le sentiment d’une dette de la nation et leur volonté que cette reconnaissance soit concrétisée matériellement et financièrement.

Enfin promulguée le 9 novembre 1911, une loi rend tardivement hommage aux anciens combattants de la guerre franco prussienne de 1870 – 1871 : »il est institué une médaille commémorative pour les combattants de 1870 – 1971 qui justifieront, par pièces authentiques, de leur présence sous les drapeaux de France, en Algérie ou à bord des bâtiments armés, entre le mois de juillet 1870 et le mois de février 1971 inclus ».Les anciens soldats se voient attribuer médaille et certificat nominatif.

Ainsi, à la veille de la Première Guerre mondiale, si quelques associations existent, si l’identité des anciens combattants est renforcée, l’intervention financière en leur faveur reste inadaptée.

Au début du conflit, les actions d’aides à la reconversion professionnelle des blessés et mutilés dépendent du ministère du travail. Les orphelins entrent dans la catégorie des « enfants en dépôt » secourus par les services départementaux et les faits d’armes de leur père ne les distinguent en rien de leurs compagnons d’infortune. L’aide aux mutilés et aux veuves relève des initiatives privées.

Quelques projets de lois sont à l’étude en 1914 mais comme l’indiquera le député Georges Lugol en 1917 « nous n’avions pas compris, en temps de paix la nécessité de faire une législation de guerre ». La législation en vigueur correspond aux besoins d’une armée de professionnels numériquement peu nombreuse, pour des guerres, des expéditions ou des conflits d’importance limitée.

La situation va être très différente en août 1914 puisqu’en décrétant la mobilisation générale, ce sont près de 4 millions d’hommes qui sont appelés. Avant décembre de la même année, 360 000 trouvent la mort, 336 000 sont blessés près de 200 000 sont prisonniers.

A la fin du conflit, la mobilisation aura touché plus de 40 % des hommes et même 75 %de ceux âgés de 20 à 35 ans. Les pertes subies sont à la mesure des forces engagées : 1 393 000 morts et 3 595 000 blessés.

La population civile a souffert également. On dénombre 110 000 victimes mortes des suites de la guerre. Le conflit a laissé en outre 600 000 veuves et 986 000 orphelins.

A cet égard la Première guerre mondiale constitue un tournant de notre histoire. Elle a fait basculer le monde occidental et est à l’origine en France de bien des bouleversements sociaux.

Le contexte économique est aussi bouleversé. La main d’œuvre manque cruellement et le nombre de combattants blessés ou mutilés pose le problème de leur réinsertion. Des centres professionnels se mettent en place, tel celui de Lyon, à l’initiative du maire Edouart Herriot, mais ils ne relèvent souvent que de l’initiative privée.

Les ateliers de fabrication du Bleuet de France, au sein de l’institution nationale des Invalides sont une exception.

Pour importante qu’elle soit, l’initiative privée, dans le domaine de la rééducation professionnelle mais aussi dans le domaine de la création de foyers, de l’assistance aux blessés, aux veuves aux orphelins, ne dispose pourtant pas à elle seule de la capacité de réparer tous les préjudices matériels et moraux de la guerre.

Aussi, des 1915, des propositions de reformes des lois sur les pensions de 1831 sont engagées.

Edouard Vaillant dans l’exposé des motifs de sa proposition de loi pour l’institution d’une assurance nationale des victimes de guerre écrit : « Il n’est pas un de nous qui, chaque jour, à la rencontre d’une vieille mère, d’une jeune épouse un enfant dans les bras, pleurant l’une son fils, l’autre son époux tombé pour la patrie, ne soit assailli de la même idée : que deviendront ces femmes, ces enfants ? La patrie que ces héroïques soldats auront sauvée saura t elle reconnaître sa dette en sauvant les familles de la misère des incertitudes de l’existence en devenant leur tutrice ? Et les amputés, les blessés les malades devenus par leur infirmité permanente incapables de travail que fera t on pour eux ? »

L’Etat doit donc s’impliquer directement dans la prise en charge matérielle et morale de l’ensemble des catégories de personnes touchées directement ou indirectement par la guerre, dans la reconnaissance officielle, la réparation l’aide et le soutien.

Pour cela il faut des mesures d’organisation sociale d’ensemble. Cette tâche importante va être dévolue aux offices nationaux.

Face aux besoins d’une situation économique de guerre, l’Office des mutilés et réformés est créé en mars 1916. C’est un établissement public autonome chargé de la coordination des centres et écoles de rééducation professionnelle dont il va peu à peu prendre la responsabilité. Sa mission s’étend à toutes les questions se rapportant aux intérêts généraux, matériels et moraux des invalides de guerre.

Si les premières victimes de la guerre sont les combattants eux-mêmes le problème spécifique des orphelins de guerre nécessite rapidement un traitement particulier. L’Office national des pupilles de la nation est créé en juillet 1917 et placé sous la tutelle du ministère de l’instruction publique. Ses moyens financiers sont particulièrement importants. Selon le traité de Versailles, ses dépenses seront mises à la charge de l’Allemagne.

Plus tardivement, en 1926 l’office national du combattant est créé. Il est destiné à la catégorie des anciens combattants non pensionnés qui sont au nombre de 3 millions.

Ces 3 offices nationaux sont administrés par des comités qui font peu à peu une large place aux représentants des différentes catégories d’anciens combattants et victimes de guerre.

Au niveau local, ces 3 offices sont relayés dans chaque département par des offices départementaux et, dans les territoires hors métropole, par des offices coloniaux. Ces structures locales assurent une plus grande proximité avec les ressortissants.

Il apparaît donc clairement une fois les trois offices créés, que les différents domaines d’actions en faveur des combattants et victimes de guerre sont bien couverts. L’aide matérielle et morale qui leur est due se manifeste dans la politique active de reconnaissance (cartes et titres) de réparation (pensions) de solidarité (aides ponctuelles et prise en charge des ressortissants âgés dans des maisons de retraite), d’aide à la réinsertion (centres de reconversion professionnelle) et d’association à la démarche de souvenir et de mémoire qui se met progressivement en place.